mercredi 10 décembre 2008

Après le diagnostic

A ceux qui en douteraient encore, je confirme que les enfants sont bien naturellement cruels entre eux, mais lorsqu’il y a différence c’est encore pire.

J’ai toujours été impressionnée par l’intuition des enfants et j’ai remarqué que tous les enfants avaient senti bien plus rapidement que les adultes que Rosa était différente.

Dans l’absolu ça ne me gêne pas, car j’ai toujours aimé la singularité, mais Rosa accepte mal sa différence et elle l’a ressentie très tôt, donc le regard des autres enfants est pour elle très important.

Après ses « incidents » à répétition en CP et CE1, Rosa a été étiquetée et bien qu’elle n’en ait plus eu depuis longtemps, elle est toujours traitée comme une pestiférée. Dans son école ils l’appellent la « périmée », il ne faut pas la toucher de crainte d’être souillé. Il se dit aussi qu’elle « pue le caca », ce qui évidemment est faux, mais la cruauté n’a pas de limites pour les enfants.

Ce qui se dit au sujet de leur sœur fait beaucoup de peine à ses frères et comme elle a compris qu’il n’y a pas grand-chose à y faire, Rosa en parle peu.

J’ai toujours été attentive à ce qu’elle soit bien coiffée et bien habillée, mais depuis la rentrée nous essayons d’être « à la mode », pour moi qui déteste l’uniformisation c’est pénible, mais il faut bien reconnaître qu’une meilleure acceptation par les autres enfants passe par là, même si on est vite arrivé dans l’autre versant du problème : la jalousie.

Les autres enfants sont depuis longtemps jaloux de ma disponibilité pour Rosa, ils ne voient pas que je vais la chercher pour l’emmener à des rendez-vous paramédicaux qui peuvent lui être pénibles (car charge de travail supplémentaire), ils ne voient que le fait que Rosa a la chance d’avoir sa maman qui vient la chercher à la fin du déjeuner pour passer du temps avec elle. Je mentirais si je disais que ces moments ensemble toutes les deux, même le temps d’un trajet en voiture, ne me font pas plaisir. C’est un moment de complicité supplémentaire, comme avec ses frères lorsque je les accompagne au sport.

Les enfants ont d’autres motifs de jalousie car Rosa est très appréciée par les adultes qui s’occupent d’elle. Elle est calme, volontaire, intelligente, sensible et parfois coquine. C’est un grand réconfort pour moi de la savoir entourée de personnes bienveillantes et motivées pour l’aider, mais son « traitement de faveur » n’échappe pas aux autres enfants et l’arrivée de l’AVS dans la classe a exacerbé les rancœurs.

Une heure avant sa fête anniversaire Rosa angoissait terriblement à l’idée que personne ne vienne. La majorité des filles auxquelles elle avait donné une carte d’invitation avaient déchiré les cartes devant tout le monde ou annoncé à haute voix ne pas désirer se rendre à l’anniversaire de la « périmée ».

Finalement huit enfants sont venus (les enfants de femmes avec lesquelles je m’entends bien et qui apprécient Rosa, ce n’est pas un hasard) et elle était aux anges. Celles qui ne sont pas venues étaient jalouses de savoir que Rosa avait eu finalement un bel anniversaire et redoublaient de méchanceté le lundi suivant. Sans compter que cette AVS si jolie, qui vient tous les après-midi aider Rosa, c’est un peu injuste, pensent-elles.

L’AVS a pour mission d’aider Rosa à s’organiser, elle copie les leçons lorsque Rosa est fatiguée, reformule les consignes de travail à l’oral, lorsque le maître les a écrites au tableau, l’aide à ranger son casier, etc. Rosa ne peut pas retranscrire ce qu’elle voit, il faut utiliser le canal audito-verbal pour lui permettre d’assimiler des informations. Là où elle aurait fini par être dysorthographique si sa dyspraxie n’avait été diagnostiquée, il s’avère qu’elle est très forte en orthographe, dès lors qu’on lui fait épeler les mots. Pour lui apprendre des mots de vocabulaire, il suffit de les épeler, elle les mémorise et peut les écrire sans fautes. Lorsque nous lui faisions copier plusieurs fois pour « qu’ils lui rentrent dans la tête », c’était la pire des solutions, ça s’embrouillait dans sa tête au fur et à mesure que son écriture se dégradait. La copie lui est extrêmement nocive.

En matière de graphisme pour vous donner une idée de ses difficultés, il faut vous imaginer que vous avez dans la tête un château de contes de fées parfait, avec des très belles couleurs. Dans votre tête ce château est parfait, mais la transmission des informations vers vos mains pour le concrétiser se fait mal, alors au final le château est tout déformé. Le décalage entre la représentation mentale parfaite que se fait un enfant dyspraxique et sa concrétisation sur le papier est énorme et très décevant pour l’enfant. Lorsqu’en plus il essaye de retranscrire une forme géométrique qu’il ne voit pas complètement (Rosa n’a pas de vision en trois D), qu’elle est donc déjà déformée dans sa tête, vous imaginez qu’avec les troubles praxiques en plus la production finale de l’enfant n’a plus grand-chose à voir avec le modèle de départ.

Nous savons de toutes les façons que certaines matières lui seront toujours extrêmement pénibles. Les cartes des géographie comprennent un trop grand nombre d’informations et bien trop de difficultés de repérage pour lui être accessibles. De la même façon, toujours du fait de ses troubles visuo-spatiaux, une frise historique est pour elle une torture. Il existe des logiciels informatiques pour l’aider à combler ces déficits, il est prévu que Rosa passe à l’utilisation de l’ordinateur graduellement avec une ergothérapeute.

A partir du mois de janvier une ergothérapeute spécialisée devrait se rendre dans l’école de Rosa pour l’aider pendant une heure à mieux utiliser ses mains et acquérir des méthodes pour mieux se repérer dans l’espace. Lorsque nous étions allés faire le bilan, l’ergothérapeute avait été tout à fait bluffée par la justesse de la définition que Rosa avait trouvé pour sa dyspraxie : « C’est ma tête qui ne commande pas bien à mes mains, mais pourtant ma tête va tout à fait bien »

Rosa a fait des progrès fulgurants depuis la venue de l’AVS, que je n'ai pas encore rencontrée. C’est toujours un peu dur socialement, mais elle a pris de l’assurance, elle se dénigre moins. Il existe des centres de vacances pour enfants dyspraxiques et je n'exclus pas de l'y emmener pour qu'elle puisse rencontrer d'autres enfants ayant les mêmes troubles, afin de se sentir moins seule, mais d'un autre côté je ne veux pas la mettre dans un établissement spécialisé car je tiens à ce que la société joue son rôle d'insertion et de respect des différences et que Rosa finisse par accepter ses différences et à vivre heureuse en valorisant ses nombreuses qualités et sa force.

Je dois dire que je suis bien consciente d’avoir eu la chance de tomber, pour ma fille, sur des personnes formidables et en particulier ses enseignants qui ont toujours été soucieux de la tirer vers le haut, tout en n’oubliant pas qu’elle reste une enfant.

Hier soir j’ai croisé son enseignant qui était très amusé de me voir rouspéter ma rebelle et qui a pris sa défense en me disant qu’elle travaillait très bien à l’école, qu’elle était très sage et qu’il fallait bien la laisser « se défouler » à la maison, comme tous les enfants de son âge.

Ses frères sont jaloux comme dans toutes les fratries, mais comme son grand-frère rentrera en 6ème l’année prochaine, j’essaye de le pousser à plus d’autonomie dans sa façon de réviser. Non seulement ce n’est pas facile pour lui car il a toujours été très soucieux de mon regard sur lui et qu’il apprécie que nous travaillons ensemble, mais j’ai cru comprendre qu’en plus il interprétait cela comme un abandon pour plus m’occuper de Rosa. Il va falloir remettre les pendules à l’heure et trouver le bon équilibre pour chacun.

C’est l’heure des devoirs !