dimanche 23 novembre 2008

Rosa est dyspraxique

Dans ce blog je parlerai souvent à la première personne du singulier, car bien que mon mari aime beaucoup sa fille, c’est ma vision de son handicap dont je vais parler ici.

Rosa a su marcher à 13 mois, mais tombait très souvent. Elle a toujours eu des problèmes d’équilibre et manquait d’assurance dans ses mouvements. Nous la traitions à l’époque affectueusement de « mémère maladroite et un peu fainéante », nous savons depuis peu qu’elle ne voit pas en 3 D, ne perçoit pas certains obstacles, perd tout repère dans les grands espaces, qu’il lui faut des espaces aux repères fixes pour pouvoir se déplacer aisément et que certains gestes praxiques simples pour nous lui sont très difficiles du fait de sa dyspraxie VS. Elle était donc juste prudente.

Nous comprenons mieux ses épisodes d’épouvante lorsqu’elle partait en balade à vélo avec ses frères sur les routes et qu’elle roulait quasiment « à l’aveugle » car elle ne percevait pas les obstacles et les bords des trottoirs, tout en sachant que de dangereuses voitures pouvaient l’écraser en cas de chutes (régulières du fait de sa dyspraxie).


J’ai remarqué que notre fille avait du retard graphique très tôt, mais lorsque j’en parlais à son père, il me répondait : « Mais non ne t’inquiète pas, elle est de la fin de l’année, laisse-la évoluer à son rythme, chaque enfant est différent, elle n’évoluera pas forcément aussi vite que son grand-frère »

Comme il n’avait pas tout à fait tort dans l’absolu, je me suis ancrée cette litanie dans la tête et à chaque fois que quelque chose me semblait surprenant chez ma fille, pour une enfant de son âge, je me disais : « Mais non ne t’inquiète pas, elle est de la fin de l’année, laisse-la évoluer à son rythme, chaque enfant est différent, elle n’évoluera pas forcément aussi vite que son grand-frère »

Si en grande section de maternelle ils se sont inquiétés de son absence de socialisation et du fait qu’elle semblait en souffrir, rien sur le plan scolaire ne les a inquiétés et pourtant son retard en motricité fine était déjà très visible.

Il me faut préciser que Rosa est très intelligente et qu’elle a mis seule en place des astuces pour compenser son handicap, sans que cela soit facilement perceptible pour les adultes qui en ont la charge. Elle a toujours été volontaire pour pratiquer les activités manuelles qui lui étaient fastidieuses et aujourd’hui encore elle aime écrire et dessiner.


A l’âge de 3 ans et demi, du jour au lendemain, notre fille s’est mise à loucher. Nous l’avons emmené en urgence chez un strabologue qui a conclu à un strabisme accommodatif dû à une hypermétropie non diagnostiquée à temps (les premières visites chez nos ophtalmos se font à 4 ans). Nous savons maintenant que le strabisme est une des conséquences de la dyspraxie visuo-spatiale, même si notre plus jeune fils est également hypermétrope et commençait aussi à loucher à 2 ans (mais nous avons pu pour lui réagir à temps), sans être pour autant dyspraxique.

Mon mari a refusé dès le départ de constater que notre fille louchait, il me disait que « je me faisais des idées ». Par la suite lorsque son strabisme s’est installé malgré le port des lunettes, il ne la regardait plus. Je suis allée seule à l’hôpital accompagner notre fille pour son opération, il ne lui a même pas rendu visite. Ne vous y trompez pas, il adore sa fille, mais il n’était pas là, car il ne supportait pas ce qui arrivait à notre fille. Le strabisme de ma fille est beaucoup moins prononcé même s’il subsiste. Nous en restons là pour l’instant car de convergeant il risquerait de devenir divergeant avec l’évolution de sa vue en grandissant, si on l’opérait à nouveau aujourd’hui. De plus une anesthésie générale n’est pas sans conséquences sur l’organisme et je ne voudrais pas, comme certains parents, la faire passer sur le billard plusieurs fois pour des raisons purement esthétiques.


La dyspraxie de ma fille s’est révélée au CP. Son écriture était très lente et ses formes géométriques catastrophiques, elle perdait sans cesse ses affaires, ne réussissait pas à ranger correctement son casier et même glisser une feuille dans une chemise transparente lui était difficile. Elle était pourtant de très bonne volonté et faisait beaucoup d’efforts, mais ses productions étaient calamiteuses et ses essais fastidieux.

De plus elle faisait régulièrement pipi dans la culotte en classe, autant par anxiété qu’à cause de ses difficultés à anticiper son besoin d’aller aux toilettes. Ces épisodes d’énurésie répétitifs (autre symptôme de la dyspraxie) l’ont évidemment encore plus isolée des autres enfants, elle a passé une année de CP très difficile seule dans la cour de l’école à toutes les récréations et pendant la pause déjeuner. Elle en souffrait énormément et souffrait déjà beaucoup de se sentir différente sans bien comprendre en quoi elle était différente et pourquoi. Elle a toujours eu du mal à s’habiller seule, ne peut fermer les tous petits boutons, tient avec difficultés ses couverts et a le plus grand mal à couper la viande. Mais elle est très volontaire, alors elle fait de nombreux efforts (qui lui coûtent énormément) et progresse constamment.

J’ai commencé la longue et difficile route vers l’établissement d’un diagnostic pour Rosa dès le CP.

Pour avoir constaté auparavant le besoin chronique de certains enseignants de mettre les enfants dans des cases et de leur coller des DYS ou de l’HYPER, lorsqu’ils leur semblent sortir de la « norme », nous étions quelque peu réticents, mais nous ne pouvions pas nier les différences, les souffrances et les besoins d’aide de notre fille.

Il faut savoir que faire établir un diagnostic fiable et obtenir une prise en charge adaptée lorsque l’on a un enfant handicapé est un parcours du combattant. D’autant que si de nombreux spécialistes sont de bonne volonté, la dyspraxie visuo-spatiale (dont on ne connaît pas la cause réelle) est très peu connue et seuls quelques rares spécialistes proposent des solutions adaptées. Certaines spécialistes des troubles de l’enfance peuvent faire de leur mieux pour aider un enfant dyspraxique mais l’enfoncer dans les difficultés, car ils ne connaissent rien à ce handicap, sur lequel les solutions habituelles sont extrêmement néfastes.

Pour parer au plus urgent et avant-même de pouvoir parler de dyspraxie, Rosa a été prise en charge par une psychomotricienne et par une orthophoniste, pour essayer de l’aider le mieux possible. Ensuite j’ai commencé à en parler avec le médecin scolaire, j’ai pris un dossier à la MDPH, qui m’a demandé un bilan dans une unité spécialisée, dans laquelle nous avons rencontré plusieurs spécialistes: orthophonistes, neurologues, psychomotriciens, orthoptistes, ophtalmologistes, ergothérapeutes, psychologues. En 3 ans et en dehors de ses rendez-vous hebdomadaires, Rosa a eu pas moins de 35 rendez-vous médicaux, le plus souvent à Paris. Cela m’a demandé un investissement en temps et en argent conséquent, mais par chance je suis fonctionnaire et j’ai des jours « enfant malade ». D’ailleurs j’ai pris conscience, à cette occasion, du fait que si en théorie tous les enfants sont égaux en France devant un handicap, dans les faits ce n’est pas vrai.

J’ai souvent dû me montrer pugnace et insister pour obtenir des rendez-vous rapidement chez des spécialistes très pris et très demandés. Quand je dis rapidement c'est dans un délai d'un an, car il n'est pas rare d'entendre parler d'enfants dont la dyspraxie s'est révélée en primaire, mais qui n'ont pu obtenir des dotations, après des années de démarches, qu'au lycée.

J’ai la chance d’avoir le permis pour emmener Rosa à ses rendez-vous hebdomadaires et de travailler suffisamment près de l’école pour le faire une fois par semaine sur ma pause déjeuner, à la fin de son repas à la cantine. Comment font les enfants handicapés dont les parents sont sans permis, sans argent, ne parlent pas français, travaillent dans le privé ou n’ont tout simplement pas la force d’entamer des démarches longues et fastidieuses ? Les enseignants m’ont souvent répété leur impuissance à aider les enfants en difficulté, dont certains lourdement handicapés, sans l’aide de leurs parents. En matière de handicap c’est aux parents de faire les démarches, il ne faut pas nier que c’est donc un fort facteur d’inégalités pour les enfants handicapés en particulier, mais pour les enfants en difficulté en général.

Tout cela a tout de même considérablement bouleversé notre vie de famille. D’une part par l’anxiété que suscitait chez moi le fait de savoir ma fille malheureuse, probablement handicapée, mais de devoir attendre pendant de longs mois avant de pouvoir lui proposer une solution à ses problèmes. Son père aussi en souffrait, mais c’est un homme qui intériorise tout.

Par chance notre fille a eu des enseignants formidables qui ont toujours eu la volonté de l’aider le mieux possible scolairement en acceptant, notamment, ses nombreux épisodes énurétiques à l’école primaire.

Ce fut néanmoins difficile pour ses frères, qui ne comprenaient pas non plus pourquoi leur sœur est différente, d’entendre les autres enfants se moquer d’elle, de devoir la défendre souvent, tout en vivant leur propre vie sociale scolaire. Ce handicap n'est pas visible physiquement, comme en plus Rosa est une petite fille jolie, très intelligente, pertinente et possède une grande mémoire, les enfants n'arrivent pas à comprendre ses troubles neurologiques très sectorisés. Les adultes non plus d'ailleurs.

C'est toujours très difficile pour ses frères au quotidien, même si le fait de parler avec eux du handicap de leur soeur, les a soulagés. Les enfants aussi ont besoin de comprendre pour mieux vivre une situation. Je n’étais pas toujours disponible pour eux car le long chemin du diagnostic me demandait beaucoup d’énergie et je suis bien consciente qu’ils ont dû souffrir et souffrent encore de toute l’attention que nous accordons à leur sœur du fait de son handicap. Dans l'avenir nous allons faire en sorte de ré-équilibrer les choses pour être présents pour chacun d'eux.


La découverte du handicap de notre fille fut malheureusement aussi révélatrice d’un malaise dans mon couple. Il est vrai que mon époux a un métier à responsabilité, qu’il travaille loin et que ce n’est pas aisé pour lui de tout concilier, mais s’il a pris des jours pour accompagner Rosa lors de rendez-vous à chaque fois que je le lui ai demandé, 4 ou 5 fois, il n’a jamais pris l’initiative de me décharger de ce fardeau en prenant les choses en main. Il me demandait rarement où en étaient les démarches pour l’obtention d’une AVS et faisait comme pour le reste de notre vie de famille, il attendait que je prenne les initiatives pour suivre le mouvement. Il n’a absolument pas pris conscience du fait que son attitude m’avait déçue, blessée.

J’avais des débuts professionnels, dans un nouveau travail, difficiles et j’ai eu un accident à la maison qui fut traumatisant pour toute la famille et bien plus marquant psychologiquement pour moi que je ne l’ai dit. Il est globalement centré sur ses problèmes professionnels, il refuse de voir ce qui le gêne et s’avère si peu enclin à accepter les mauvaises nouvelles que j’ai souvent dû faire appel à des amis pour me consoler, me rassurer, me soutenir. Je voulais l’épargner, mais notre couple s’est effrité, sans qu’il ne veuille jamais le voir non plus.

Il trouve que je me montre agressive avec lui parfois et c’est vrai. J’ai accumulé en moi tant de colère à son encontre ces dernières années que parfois je me demande si sans les enfants nous serions toujours ensemble. Et pourtant souvent je me dis que nous avons construit une belle famille, que nous réussissons à surmonter les épreuves, que parfois nous sommes bien ensemble et qu’il est un bon père, alors ma colère s’apaise…pour un temps.

Il n’est pas question de faire son procès, mais pour que vous compreniez mieux ma vie il vous faut savoir que mon mari est un anxieux, qui ne supporte pas l’échec, très nerveux, qui ne tient pas en place et crie beaucoup. Alors après une semaine de travail stressant, les nombreux allers-retours pour les activités sportives des 3 enfants, les rendez-vous paramédicaux de Rosa, l’inquiétude que suscite chez moi l’avenir de ma fille, l’éducation de 3 enfants, les problèmes du quotidien et la gestion d’une maison, il m’est parfois difficile d’avoir à supporter ses cris incessants et ses reproches pendant le week-end.

Je lisais que certains couples confrontés au handicap de leur enfant finissaient par exploser, ces dernières années j’ai compris pourquoi.

Je commence à être de plus en plus sereine pour Rosa, son enseignant, un pédagogue formidable, très curieux des différences et à l'écoute des besoins de chaque élève a déjà mis en place des solutions adaptées à son handicap, elle est en réussite scolaire et s’épanouit. Comme tout est lié, elle a maintenant des copines, elle prend confiance en elle est s’avère de plus en plus insolente ! :-)

Elle vient d’avoir 8 ans, elle est en CE2, n’a jamais redoublé et va commencer à apprendre à vivre avec son handicap.

Sur ce blog je vous raconterai l’évolution de Rosa, sa façon de grandir avec son handicap, l'incidence qu'il aura sur notre vie de famille, le regard que les gens poseront sur elle, les stratégies qui lui seront profitables, ses défaites (rares j’espère) et ses victoires (nombreuses j’en suis certaine). Si cela peut aider des parents ou des enseignants j’en serai ravie.

Maintenant que son diagnostic est posé et qu’elle va bénéficier de prises en charge adaptées, je vais pouvoir souffler un peu. De plus ces derniers temps on m’a dit et répété à quel point elle est intelligente, volontaire, agréable et qu’elle s’en sortira bien dans la vie !

J’en ai pleuré de soulagement.